« Un corps c’est tout un monde »

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(NOTE CONTEXTUELLE DE L’AUTEURE DU BLOG : Ce jeudi 6 février 2015, débutait sur Slate.fr mon dossier en trois volets intitulé: « Le discours sur l’excision doit changer: http://m.slate.fr/story/97657/discours-excision-changer « . Le lendemain paraissait le texte/témoignage de Kadiatou, intitulé:  » Être excisée et jouir, c’est possible: http://www.slate.fr/story/97699/excision-plaisir « . Troisième et dernier volet, aujourd’hui avec le texte d’Ami. LA PAROLE DES FEMMES NOIRES EXISTE ET NE SERA PLUS RÉDUITE AU SILENCE)

Je me lave le matin, je me regarde dans la glace, je vais travailler, je vois mes amis, on discute et je n’y pense pas. Il peut se passer des jours et des mois sans que j’y pense. Si je ne tombe pas sur un film, un article ou une personne qui y fait allusion, je n’y pense pas. J’oublie que j’ai été mutilée. Ça ne veut pas dire que je le rejette mais ça fait partie de moi, autant partie de moi que le grain de beauté que j’ai entre mes deux seins. C’est intime. J’ai l’impression que les gens pensent que je me lève le matin, et que je me couche obsédée par cette mutilation. Ça fait presque 20 ans maintenant.

Longtemps, avant d’avoir ma première relation sexuelle, qui est arrivée tard, j’ai eu peur de la réaction qu’allait avoir l’autre. Devoir tout lui raconter et qu’il juge ma famille, mais j’ai eu de la chance, ça n’a pas été le cas. L’autre m’a dit « oui et alors ? Un corps, c’est tout un monde. T’as pas à te justifier. Ça fait partie de toi ». Et du coup, je me dis que oui, j’ai une histoire personnelle mais comme tout le monde. Chacun traîne des cicatrices de sa vie. OK, la mienne est une cicatrice imposante mais visible que par moi et l’autre.

Mais ça n’a pas été toujours aussi simple. Quand tu lis la presse féminine étant jeune fille et vierge et que tu tombes sur des articles du type « les femmes sont principalement clitoridiennes ». La masturbation, tu te dis que ça sert à rien et tu te découvres pas. Avant, je regardais beaucoup de films porno pour voir ce qui me manquait parce que je ne savais pas à qui en parler. J’ai de la chance, ils m’ont raté. Je remercie l’autre qui m’a réconcilié avec mon sexe, qui a été longtemps à l’abandon. Aujourd’hui, comme dans tous les couples, je discute et je guide mon compagnon sur ce qui m’excite et ce qui me donne du plaisir, grâce à la patience et la confiance.

La pire des expériences, ça a été celle avec un gynécologue. J’ai cru que j’allais le frapper, il a commencé à me dire « oh la la la quelle horreur ! Des malades, c’est honteux ». Je me suis dit mais il est fou, il sait même pas à qui il a affaire, j’aurai pu être fragile à cette période-là, me laisser aller, pleurer, me sentir diminuée. Ces malades, malgré tout, c’est de ma famille dont il parlait. Heureusement que j’étais solide ce jour là. Et j’ai compris pourquoi, j’avais tant reculé avant d’y aller : ne pas me confronter à la pitié. J’ai besoin de la pitié de personne. Y’a même pas de pitié à avoir.

Avant, je disais : « je vais tout faire pour être riche, et me faire reconstruire », mais en fait non. Je pense que je le disais, inconsciemment, pour rassurer les autres à qui je l’avais dit. Je voulais d’une certaine manière leur dire, vous inquiétez pas, je suis d’accord avec vous, vous avez raison, c’est moche à voir, je vais me faire justice et punir ces barbares en me reconstruisant mais en fait non.

Je vis avec ma mutilation, je suis passée au dessus d’elle. Elle fait partie de moi.

Ami (prénom d’emprunt)

4 réflexions sur “« Un corps c’est tout un monde »

  1. Merci pour ce témoignage. Plus jeune, je me sentais presque coupable voire anormale de ne pas ressentir ce qui était décrit dans tous ces articles/émissions/reportages misérabilistes et paternalistes. Je suis heureuse de voir que je ne le suis pas.

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