Niafou Is The New Punk™

Image: Ma sista @nonintegre arborant fièrement le slogan « Niafou Is The New Punk » lors du défilé du #8MarsPourToutes 2015, dans le cortège Afroféministe, célébrant le #8MarsDecolonial

(Ce post a vocation à vous expliquer la genèse du slogan "Niafou Is The New Punk", qui est le titre d'un article que j'avais écrit suite à Bandes de Filles et que je souhaitais publier sur Slate, le temps a passé, le film était trop loin et j'ai donc oublié cet article. En ce jour de la Journée Internationale du Droit des Femmes et après cette marche historique -1er cortège Afro-féministe depuis 30 ans à Paris-; il me semble approprié de réexpliquer pourquoi je/nous ne sommes pas des "bonnes Noires" et comment cette affirmation s'articule dans une lutte d'émancipation)

Le film Bandes de Filles a fait ressurgir un débat récurrent au sein de la communauté noire : celui du devoir d’exemplarité. Ce film était très attendu puisqu’il s’agit d’un des premiers films français où les premiers rôles sont tous tenus par des femmes noires. Les jeunes femmes représentées dans le film sont issues de la banlieue, telle que vue par une réalisatrice blanche et parisienne. Si cette dimension a déjà été discutée, j’aimerai m’arrêter sur la réception et les critiques formulées à l’égard de ce film dans notre communauté. En effet, l’appartenance de ces héroïnes à la catégorie péjorativement nommée Niafou, a causé de nombreux débats sur lequel il est important de s’arrêter.

Les « Niafous » ont donc fait leur entrée par la grande porte dans la société blanche française alors qu’elles étaient l’objet d’attaques et autres moqueries depuis déjà un bon moment au sein de la communauté noire. Les exemples les plus marquants de ce type de discours/représentations sont les clips de Mokobé: Rihannon et Beyoncé Coulibaly 

Ou cet article sur les différents « clichés » de femmes noires, ou encore cette phrase « Des poncifs aussi longs que les tissages des protagonistes » écrite par le réalisateur Jamel Zaouche, dont la critique du film Bandes de Filles sur FB a été citée à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Toutes ces vannes ont un dénominateur commun : révéler le caractère honteux de l’existence de ces jeunes femmes.

La honte de la «mauvaise» Noire

Je comprends le sentiment de frustration devant une énième mise en scène de la banlieue sous un regard blanc, mais j’ai plus de mal avec la stigmatisation de jeunes femmes issues de quartiers populaires, sous prétexte qu’elles ne donnent pas une bonne image de Nous, les Noir.e.s. Je connais le sentiment de la honte, je ne juge pas les personnes qui le ressentent, je souhaite juste montrer qu’il est contre-productif dans une optique de solidarité communautaire. La honte, la honte, la honte, celle que l’on ressent physiquement quand on nous insulte, quand on nous réduit à des clichés, des stéréotypes. Surtout quand parfois, nous ou les personnes que nous aimons correpsondons à certains de ces stéréotypes. Pour moi, ce fut la honte de mon frère, dont j’ai aujourd’hui honte, d’avoir eu honte. Mon frère, le héros de mon enfance : athlète, trompettiste, danseur émérite, beau gosse et protecteur -de douze ans mon aîné ; dont la fierté de me trouver à ses côtés dans ma petite enfance, n’a eu d’égale que la honte que j’ai pu éprouver dans mon adolescence quand il est passé de « l’autre côté ». Celui des séjours en prison, de la violence, des enfants de plusieurs femmes différentes, bref, celui du cliché de l’homme noir. Comme de nombreuses personnes appartenant à une minorité de France, j’ai donc entrepris de devenir l’exact opposé de ce cliché. Toujours première de la classe, sportive de haut niveau, Sciences-Po Lyon juste après le bac, je travaille tout au long de mes études, tout en étant obsédée par la ponctualité et mes odeurs corporelles. Mon objectif pendant toutes ces années formatrices : être une bonne Noire, celle qui fera disparaître le racisme par son exemplarité. Mais au fond de moi, toujours cette peur de ne pas être assez, de faire un jour honte, à mon tour à mon entourage.

Derrière les Niafous, la politique de respectabilité

Lors de mon arrivée à Paris, il y a 6 ans et de ma découverte des « Niafous » dans le métro, je ressens ce même sentiment de honte. Les Niafous, ces filles noires, souvent jeunes, qui parlent et rient fort, se bousculent voire se battent sur le quai du métro, portent des tissages pas toujours bien entretenus, se maquillent trop, me rappellent mon frère : elles sont de « mauvaises » Noires. Elles contribuent à renvoyer cette image caricaturale des Noir.e.s à l’hygiène et aux moeurs douteuses, quand nous autres, les « bon.ne.s » Noir.e.s nous donnons tant de mal pour nous faire accepter par la société blanche française. Ça c’est ce que je pensais avant. Avant, quand je ne découvre le blog de Trudy, une Afro-féministe américaine et le concept de « politics of respectability » (politique de respectabilité) :

« The politics of respectability originated as cultural, sexual, domestic, employment and artistic “guidelines” or “rules” for racially marginalized groups to follow in the effort to be viewed as “human” in a White supremacist society and by individual Whites. »

« La politique de respectabilité s’est structurée autour de « lignes directrices » ou « règles » culturelles, sexuelles, domestiques, professionnelles et artistiques que des groupes raciaux marginalisés doivent s’efforcer de suivre pour être considérés comme « humains » au sein d’une société prônant la suprématie blanche. »

Ce concept, développé par Evelyn Brooks Higginbotham , a aussi pour corollaire l’idée que le comportement irresponsable d’un seul membre du groupe pourra être utilisé contre l’ensemble du groupe, empêchant ainsi son acceptation par la norme blanche et française -dans le cas des Noir.e.s de France. Et immanquablement, à chaque fois qu’un.e Noir.e fait ou dit une connerie, les Noir.e.s de France se sentent personnellement remis en question. Dès 2013, la bloggeuse pionnière de l’Afroféminisme à la française, Ms Dreydful abordait la question ainsi :

« L’attitude des « niafous » n’a pas été seulement décriée parce qu’elle sort des carcans de la norme (norme qui est souvent sexiste et raciste), mais aussi – voire surtout – parce que celle-ci serait une excuse aux discriminations raciales qu’on pourrait subir. Combien de fois j’ai pu entendre « Non mais voilà, on va se plaindre du racisme mais en même temps, regardez les niafous, quoi…On nous respectera quand on se respectera soi-même »

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Nous sommes des individus pas les « représentant.e.s » de notre Race immuable

Quand les Noir.e.s ne réagissent pas ainsi d’eux-mêmes, c’est la société qui leur demande de prendre partie. Nous sommes, par exemple, régulièrement sommé.e.s de nous dissocier de Dieudonné, Kémi Séba ou n’importe quel autre Noir.e problématique. Comme si on demandait aux Blanc.he.s de préciser qu’illes ne partagent pas les vues de Marc Dutroux, de Marine Le Pen ou de Civitas. Et pour les femmes noires, cette pression intra et extra-communautaire est décuplée. Les insultes dont Hapsatou Sy a récemment fait l’objet (« J’ai été traitée de ‘négresse de maison’, ‘de chienne de négresse' ») ont émané de la communauté noire et sont un parfait exemple de la difficulté, pour les femmes noires de naviguer entre les eaux de l’assimilationnisme et celles de la « blédardise ».

« Négresse de maison » est la version la plus péjorative d’une autre insulte courante, située à l’opposé du spectre de Niafou : Bounty (comprenez littéralement, Noire à l’extérieur, Blanche à l’intérieur). Bounty a ce seul avantage d’être une insulte unisexe alors que Niafou n’a pas d’équivalent au masculin. Être un.e Bounty, c’est avoir TROP fait sien.ne.s les codes et valeurs de la culture dominante, à savoir blanche et française. Pourtant, il n’existe pas d’essence noire, d’identité figée et immuable. Le mélange des cultures a eu lieu, il y a bien longtemps, certes à notre corps défendant, mais nous ne pouvons rien y changer. Par contre, libre à nous de créer aujourd’hui une communauté d’Afro-descendant.e.s de France, qui reflète notre hétérogénéité, d’origines, de parcours, d’appartenance de classe, de goûts, d’orientations sexuelles, d’identités de genre, etc. En tant qu’Afro-descendant.e.s de France, nous pouvons refuser de choisir entre nos origines et la France quand elle exige que les Noir.e.s se fondent dans le creuset républicain.

Les Afro-descendant.e.s piégées entre Misogynoir et assimilationisme « colorblind »

Les femmes noires sont donc simultanément victimes du patriarcat blanc français qui refuse de « voir les couleurs » et de la Misogynoir (autre concept développé par la bloggeuse Trudy). Une misogynie propre au monde Noir donc, hommes et femmes inclus, car rappelons-le, les femmes peuvent elles aussi avoir intériorisé le sexisme. Les Afro-descendant.e.s comme toutes les minorités de France sont sommées d’être de « bon.ne.s » Noir.e.s, d’adopter toutes les valeurs de la France blanche, sans exception, même quand ces dernières sont problématiques du point de vue de notre communauté. Jaurès et Victor Hugo étaient de fervents défenseurs de la colonisation, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen est rédigée alors même que l’esclavage bat encore son plein, les congés payés n’auraient vraisemblablement pas vu le jour sans l’asservissement des colonisé.e.s. Mais qu’importe, la République est une et indivisible !

Et de manière plus triviale, l’obsession sur le vin et le saucisson ou encore l’adoption d’un langage châtié pour ne pas faire « ghetto » ou de certaines attitudes afin de ne pas être trop voyant.e.s avec nos bazins et autres coiffures ethniques, continuent de maintenir une pression d’uniformisation voire de reniement de nos cultures d’origines dans l’espoir d’être reconnu.e.s par la culture dominante. Revenons ici un instant sur le cas de Boubakar Traoré. Entre 2005 et 2012, Boubakar Traoré est victime de harcèlement moral de la part de sa compagnie, Air France, qui refuse qu’il porte ses cheveux au naturel, même s’ils ne contreviennent pas au manuel régissant l’apparence du personnel navigant d’Air France. Ayant reçu le soutien de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations) en 2009 -quand celle-ci existait encore- il finit par porter l’affaire au prud’hommes. Ces derniers rendront un jugement emblématique du racisme institutionnel français:

« Les prud’hommes ont annulé les sanctions prises contre lui, mais ne reconnaissent pas la discrimination. »

Et de se demander pourquoi. Si sa coiffure est conforme au règlement, quels sont les motifs de la mise à pied et du harcèlement concernant la dite coiffure? Pourquoi le fond du problème, ses tresses et donc sa négritude ne sont pas pris en compte par les prud’hommes? Le refus de reconnaître la discrimination raciale est une bonne illustration des limites d’un universalisme républicain qui invisibilise les minorités. En faisant disparaître le mot « race » de la Constitution, la France n’a pas fait disparaître le racisme et en refusant de statuer sur la discrimination raciale, les prud’hommes signifient à la communauté noire qu’elle ne peut pas attendre des institutions une reconnaissance de ses spécificités et des discriminations qui y sont associées.

Niafou : une insulte classiste

Le terme Niafou renferme donc plusieurs questions politiques: la politique de respectabilité, le sexisme, la Mysoginoir et enfin le classisme. C’est-à-dire, une dépréciation des codes et valeurs de la classe populaire face aux normes de la classe moyenne et bourgeoise: un racisme de classe. En effet, se moquer des Niafous revient à se moquer des primo-arrivantes, ou des Noires qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions vestimentaires et capillaires ou de celles qui s’expriment dans un « mauvais » français ou toutes ces choses à la fois. En bref, il s’agit d’un jugement porté par les Noir.e.s en quête de respectabilité qui elles/eux appartiennent souvent à la classe moyenne ou la bourgeoisie, qu’ils y soient nés ou qu’ils soient des transfuges. Un transfuge étant une personne qui par son parcours scolaire et/ou professionnel quitte la classe sociale à laquelle il/elle appartenait pour rejoindre une classe plus privilégiée.

Les Noir.e.s qui comme moi, bénéficient d’un certain nombre de privilèges : académiques, économiques, géographiques, etc. par rapport aux autres membres de leur communauté qui sont soit migrant.e.s, soit résident.e.s en banlieue et/ou appartenant aux classes populaires; soit sans-papiers ont souvent tôt fait de vouloir se dissocier des « mauvais.e.s » Noir.e.s. Et c’est cette stigmatisation des femmes noires les moins favorisées de la communauté qui est problématique. Pourquoi reprendre les valeurs du dominant à notre compte ? Pourquoi chercher à s’élever sur le dos de nos frères et de nos sœurs, au sens propre comme au sens figuré ? Pourquoi cette obsession de « l’excellence noire » ?

Derrière les Niafous, l’obsession de « l’élite noire »

« NOFI est la première plateforme d’échange, d’information, de consommation, de réseautage et de réflexion sur le quotidien de la communauté noire. Notre mission : « promouvoir l’excellence noire ».

La une du dossier du Monde magazine de mai 2014 titrait : « La nouvelle élite noire : jeunes, apolitiques, entreprenants ».

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Le terme « apolitiques » m’avait immédiatement frappé. A l’intérieur, on pouvait lire :

« Ferdinand n’est pas investi en politique. Il ne se sent ni concerné par des appels à des « réparations » pour l’esclavage, ni par les réclamations pour plus de représentativité en politique (…) Une attitude classique de cette génération. Plus soft que hard power, elle enterre, à sa manière, le militantisme des années 2000 (…) ».

Ce type d’approche de la place des minorités dans la société française est emblématique d’une autre discours très français lui aussi, qui consiste à culpabiliser les Noir.e.s « d’en bas » et que l’on pourrait résumer ainsi : ils y sont arrivés et ne se plaignent pas, pourquoi pas vous ? La victimisation est un des arguments visant à faire taire les revendications légitimes de minorités discriminées qui lorsqu’elles ne parviennent pas à la « réussite sociale » telle que déterminée par le libéralisme, sont soupçonnées d’avoir failli par manque de valeur personnelle.

L’injonction d’intégration s’est muée en injonction d’adhésion aux valeurs capitalistes et blanches. L’acceptation des Noir.e.s au sein de la société blanche française repose désormais sur leur capacité entrepreneuriale et leur apolitisme. Et il est vrai que les Noir.e.s de France commencent à avoir voix au chapitre depuis que les industries, en particulier cosmétique, ont réalisé qu’ils/elles représentaient un marché, sous, voire inexploité. Néanmoins, les Afro-descendant.e.s doivent-ils laisser le marché définir leurs attentes et leurs valeurs? Quid des chômeurs, des personnes incarcérées, des migrant.e.s, des personnes qui travaillent sans être déclarées, des travailleuses du sexe? N’existe-t-il donc pas de salut hors de l’invisibilisation des franges les plus défavorisées de notre communauté ? N’est-il pas temps qu’au sein de la communauté Afro-descendante se pose la question des conditions dans lesquelles nous souhaitons mettre fin aux discriminations dont nous sommes victimes ? Audre Lorde disait :

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« Les outils du maître ne serviront jamais à démonter sa maison. »

Le capitalisme s’est établi durablement grâce à l’esclavage et reste un système d’oppression et de domination mortifère. L’adhésion aux valeurs libérales ne représente donc pas le meilleur ou du moins le seul chemin vers l’émancipation, c’est même -selon moi- le meilleur moyen de reproduire des schémas propres à l’histoire raciste du capitalisme. Il n’y a qu’à voir cette série photo publiée la semaine dernière dans le magazine Fashziblack et critiquée fort à propos par la bloggeuse : Many Chroniques:

« Tranquillement, au calme un mag’ afro perpétue les pires stéréotypes avec ce couple d’évolués – au Kongo belge, c’était un véritable statut juridique et social qui désignait ainsi les quelques noir-e-s validés par les blancs comme assimilés – suivis pas des Africain-e-s bien foncés, en wax « tradi » au rôle immuable d’inférieurs, serviteurs, porteurs – ‪#‎LAFATIGUANCE‬ encore plus lorsque ça vient des nôtres ! »

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Libre à nous de choisir de valoriser aussi, les enseignants, les travailleurs sociaux, les chercheurs, les employés, les fonctionnaires, les artistes, etc.  En effet, le militantisme et/ou la colère ne sont pas le dernier recours de « losers » qui cherchent à blâmer les autres pour leurs échecs, mais bien des outils pour les dominé.e.s afin de mettre en lumière et de combattre le racisme et le sexisme, entre autres oppressions.

« Car il n’est pas facile, contrairement à ce que l’on croit, d’être et surtout de rester en colère. C’est un état douloureux ; car rester en colère, c’est nous souvenir sans cesse de ce que nous voulons, de ce que nous devons oublier au moins par moment pour pouvoir survivre : que nous sommes, nous aussi des humiliées et des offensées. Mais pour nous (…) l’oublier, ne fût-ce qu’un instant, c’est abandonner le fil qui nous relie à notre classe (…), le garde-fou qui nous empêche de basculer du côté de l’institution, du côté de nos oppresseurs. Nous avons tendance à voir la colère comme un moment dépassable en sus d’être un sentiment désagréable ; comme quelque chose de temporaire, qui cesse à un moment d’être utile (…) Or, notre seule arme contre la trahison potentielle inscrite dans notre statut d’intellectuelles, c’est précisément notre colère. Car seule garantie que nous ne serons pas, en tant qu’intellectuelles, traîtres à notre classe, c’est la conscience d’être, nous aussi des femmes, d’être celles-là mêmes dont nous analysons l’oppression. La seule base de cette conscience c’est notre révolte. Et la seule assise de notre révolte, c’est notre colère. »

― Christine Delphy, L’ennemi Principal

Nous n’avons pas les mêmes valeurs (ni le même humour)

Face aux discriminations, la colère est légitime et l’agacement face à l’humour douteux aussi. Voici un autre exemple récent : la dernière campagne de pub de France Ô. Le problème de cette campagne d’affichage va bien au-delà de la démarche antinomique qui consiste à réutiliser les clichés dans le but de les remettre en cause. En effet, cette stratégie n’est efficace que quand elle part de la société civile et des personnes discriminées -comme aux Etats-Unis, dans le cas des Sluts Walks, littéralement « marches de salopes » où des femmes insultées dans les médias par des hommes politiques étaient descendues dans la rue pour revendiquer le droit à la contraception. Mais quand l’institution télévisuelle emploie la même stratégie pour questionner le racisme, elle ne fait que renforcer les dits clichés.

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D’ailleurs, tout le monde serait choqué si une affiche titrait: « Je ne suis pas folle » accompagnant la photo d’un homme efféminé dans le but de lutter contre l’homophobie. Cette campagne est d’autant plus problématique quand on réalise que seules les présentateurs-trices non-Blanc.he.s sont essentialisé.e.s.

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En effet, lorsque l’on voit toutes les photos côte à côte, on comprend que contrairement aux Blanc.he.s présenté.e.s uniquement au travers de leurs émissions; les Noir.e.s, avant d’être des professionnel.le.s, sont des Noir.e.s, identité et fonction. Le plus incroyable reste que cette idée fut validée par tous les échelons de la hiérarchie de France Télévision, puis réalisée, puis diffusée, sans que personne ne s’aperçoive de la nature incroyablement raciste de cette campagne. On aurait aussi pu attendre des personnes mises en scène une réaction : plainte aux prud’hommes, démissions, déclarations publiques, mais non. En dehors des réseaux sociaux, rien.

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Ce n’est donc pas en attendant que les personnes au pouvoir changent de regard sur nous que l’on peut changer la façon dont nous sommes représenté.e.s, mais bien en prenant nous-mêmes des mégaphones, des pancartes, de stylos, des pinceaux, des micros et des caméras pour raconter notre Histoire, toutes nos histoires, telles que nous les vivons de l’intérieur.

Il est aussi nécessaire de ne plus se laisser effrayer par l’épouvantail du communautarisme qui rappelons-le ne concerne que les non-Blanc.hes. A ce jour, en dehors de Sihame Assbague, du Collectif Stop Le Contrôle Au Faciès, qui a interpellé Alain Juppé à propos du racisme structurel et de la pertinence de sa représentativité en tant qu’homme blanc de plus de 60 ans, quasiment personne ne dénonce le communautarisme qui sévit à l’Assemblée Nationale.

Le communautarisme  et le militantisme sont donc des possibilités pour la communauté noire de se donner à voir tel.le.s qu’on aimerait être vu.e.s, d’inverser le rapport de pouvoir afin d’influencer le regard qui est porté sur nous. En tant qu’Afro-descendant.e.s de France nous sommes légitimes et en mesure de fixer les conditions de notre représentation et de notre émancipation et ce, sans avoir à se référer à la norme blanche.

Noires et sans complexes

Nous n’avons pas à nous contenter des améliorations passées de notre condition. Les Afro-descendant.e.s sont toujours victimes du racisme systémique, du patriarcat, de l’hétéronormativité, de la précarité économique et de discriminations et de violences en tous genres. Ne pouvons-nous pas trouver des formes d’humour qui ne stigmatisent pas les membres les moins favorisés de notre communauté ? Les revendications élitistes, qui au prétexte de faire sauter le « plafond de verre » ne cherchent pas à s’intéresser à la majorité engluée sur le « plancher collant » ne permettent pas une remise en question des dynamiques de pouvoir. Le ou La Noir.e d’exception ont toujours existé dans l’Histoire de France et jusqu’à aujourd’hui, ces réussites individuelles n’ont jamais permis d’éradiquer les discriminations endémiques. La réussite telle qu’elle est présentée et valorisée aujourd’hui est celle qui consiste à se détourner du reste de notre communauté à la minute où l’on commence à bénéficier de privilèges.

A mon sens, l’enjeu est désormais le suivant : souhaitons-nous devenir de « bon.ne.s » Noir.e.s accepté.e.s individuellement par le système ou souhaitons-nous voir la communauté noire de France dans son ensemble conquérir des droits et s’affirmer dans la joie ? Audre Lorde, toujours, disait aussi :

« If I didn’t define myself for myself, I would be crushed into other people’s fantasies of me and eaten alive. »

« Si je ne m’étais pas définie par moi-même et pour moi-même, j’aurai été écrasée et dévorée par les fantasmes que les autres avaient de moi. »

―  Zami : A new Spelling for my name

A titre personnel, j’ai donc choisi de voir les Niafous pour ce qu’elle sont : une façon d’être « unapologetically Black », à savoir « Noires et sans complexes». Il y a peut-être des enseignements à tirer de leur façon de ne pas s’excuser d’être là et d’occuper l’espace public. Elles sont Noires, à leurs conditions et nous pouvons choisir de les imiter, à notre façon, en commençant par ne pas culpabiliser celles et ceux qui choisissent de s’affirmer en leurs propres termes. Niafou is the new punk, prenons-en de la graine.

11 réflexions sur “Niafou Is The New Punk™

  1. « les congés payés n’auraient vraisemblablement pas vu le jour sans l’asservissement des colonisé.e.s. »

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  2. A reblogué ceci sur Salut, et encore merci pour le poisson!et a ajouté:
    Un excellent texte de Badassafrofem !
    Résumé des thèmes :
    « Une réflexion sur “Niafou Is The New Punk™”
    la politique de respectabilité , la « mauvaise noire » la honte introduite dans les cœurs, mysogynoir et assimilationisme colorblind, « niafou » comme insulte classiste et obsession de « l’élite noire » , l’humour qui fait mal, le regard médiatique et institutionnel, Noires et sans complexe.

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